Page:Proust - Le Temps retrouvé, 1927, tome 1.djvu/32

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

que je devrais aller voir, une collection héritée par le célèbre duc, qui était son neveu préféré, de Mme de Beausergent sa tante, de Mme de Beausergent depuis Mme d’Hayfeld, la sœur de la marquise de Villeparisis et de la princesse de Hanovre. Mon frère et moi nous l’avons tant aimé autrefois sous les traits du charmant bambin appelé Basin, qui est bien en effet le prénom du duc. Là-dessus, le docteur Cottard, avec une finesse qui décèle chez lui l’homme tout à fait distingué, ressaute à l’histoire des perles et nous apprend que des catastrophes de ce genre produisent dans le cerveau des gens des altérations tout à fait pareilles à celles qu’on remarque dans la matière inanimée et cite d’une façon vraiment plus philosophique que ne feraient bien des médecins le propre valet de chambre de Mme Verdurin qui, dans l’épouvante de cet incendie où il avait failli périr, était devenu un autre homme, ayant une écriture tellement changée qu’à la première lettre que ses maîtres, alors en Normandie, reçurent de lui leur annonçant l’événement, ils crurent à la mystification d’un farceur. Et pas seulement une autre écriture, selon Cottard, qui prétend que de sobre cet homme était devenu si abominablement pochard que Mme Verdurin avait été obligée de le renvoyer. Et la suggestive dissertation passa, sur un signe gracieux de la maîtresse de maison, de la salle à manger au fumoir vénitien dans lequel Cottard me dit avoir assisté à de véritables dédoublements de la personnalité, nous citant le cas d’un de ses malades, qu’il s’offre aimablement à m’amener chez moi et à qui il suffisait qu’il touchât les tempes pour l’éveiller à une seconde vie, vie pendant laquelle il ne se rappelait rien de la première, si bien que, très honnête homme dans celle-là, il y aurait été plusieurs fois arrêté pour des vols commis dans l’autre où il serait tout simplement un abominable gredin. Sur quoi Mme Verdurin remarque finement que la médecine pourrait fournir des sujets