Page:Proust - Le Temps retrouvé, tome 2.djvu/180

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

un point de pure distraction, elle pourrait servir mes plaisirs, lesquels, en effet, ne me semblaient pas devoir être de parler littérature avec la duchesse de Guermantes plus qu’avec Mme de Saint-Loup. Certes, j’avais l’intention de recommencer dès demain, bien qu’avec un but cette fois, à vivre dans la solitude. Même chez moi je ne laisserais pas les gens venir me voir dans mes instants de travail, car le devoir de faire mon œuvre primait celui d’être poli, ou même bon. Ils insisteraient sans doute. Ceux qui ne m’avaient pas vu depuis si longtemps, venaient de me retrouver et me jugeaient guéri. Ils insisteraient, venant quand le labeur de leur journée, de leur vie, serait fini ou interrompu, et ayant alors le même besoin de moi que j’avais eu autrefois de Saint-Loup, et cela parce que, comme je m’en étais aperçu à Combray quand mes parents me faisaient des reproches au moment où je venais de prendre à leur insu les plus louables résolutions, les cadrans intérieurs qui sont départis aux hommes ne sont pas tous réglés à la même heure, l’un sonne celle du repos en même temps que l’autre celle du travail, l’un celle du châtiment par le juge quand chez le coupable celle du repentir et du perfectionnement intérieur est sonnée depuis longtemps. Mais j’aurais le courage de répondre à ceux qui viendraient me voir ou me feraient chercher que j’avais, pour des choses essentielles au courant desquelles il fallait que je fusse mis sans retard, un rendez-vous urgent, capital, avec moi-même. Et pourtant, bien qu’il y ait peu de rapport entre notre moi véritable et l’autre, à cause de l’homonymat et du corps commun aux deux, l’abnégation qui vous fait faire le sacrifice des devoirs