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EN MÉMOIRE DES ÉGLISES ASSASSINÉES

et que le jour soit beau[1], le mieux serait de descendre la rue principale de la vieille ville, traverser la rivière et passer tout à fait en dehors vers la colline calcaire sur laquelle s’élève la citadelle. De là vous comprendrez la hauteur réelle des tours et de combien elles s’élèvent au-dessus du reste de la ville, puis, en revenant, trouvez votre chemin par n’importe quelle rue de traverse ; prenez les ponts que vous trouverez ; plus les rues seront tortueuses et sales, mieux ce sera, et, que vous arriviez d’abord à la façade ouest ou à l’abside, vous les trouverez dignes de toute la peine que vous aurez eue à les atteindre.

« Mais si le jour est sombre, comme cela peut arriver quelquefois, même en France, ou si vous ne pouvez ni ne voulez marcher, ce qui peut aussi arriver à cause de tous nos sports athlétiques et de nos lawn-tennis, ou si vraiment il faut que vous alliez à Paris cet après-midi et que vous vouliez seulement voir tout ce que vous pouvez en une heure ou deux, alors en supposant cela, malgré ces faiblesses, vous êtes encore une assez gentille sorte de personne pour laquelle il est de quelque conséquence de savoir par quelle voie elle arrivera à une jolie chose et commen-

  1. Vous aurez peut-être alors comme moi la chance (si même vous ne trouvez pas le chemin indiqué par Ruskin) de voir la cathédrale, qui de loin ne semble qu’en pierres, se transfigurer tout à coup, et — le soleil traversant de l’intérieur, rendant visibles et volatilisant ses vitraux sans peintures, — tenir debout vers le ciel, entre ses piliers de pierre, de géantes et immatérielles apparitions d’or vert et de flamme. Vous pourrez aussi chercher près des abattoirs le point de vue d’où est prise la gravure : « Amiens, le jour des Trépassés. »
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