Page:Quevedo - Don Pablo de Segovie.djvu/117

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et dit : « Est-ce là le patient de l’autre jour, à qui l’on a donné certains coups par derrière ? » Je répondis que je n’étais pas homme à éprouver le même traitement qu’eux. À ces mots mon oncle se leva et ajouta : « C’est mon neveu, maître-ès-arts à Alcala et grand suppôt de cette université. » Ils me demandèrent alors pardon et m’offrirent tous leur amitié.

On sent que j’étais dans la dernière impatience de dîner, de recueillir mon bien et de fuir mon oncle. Enfin on mit la table, et à la faveur d’une corde on monta dans un chapeau, comme l’on fait à l’égard des aumônes pour les pauvres prisonniers, le dîner d’une gargotte qui touchait à la maison. Les viandes étaient sur des morceaux de plats et des tessons de pots de terre. Il n’est pas possible d’imaginer tout ce que je souffrais et jusqu’à quel point ma vanité se trouvait blessée. On s’assit, le quêteur au haut de la table et les autres indifféremment et sans observer aucun ordre. Il suffit de dire qu’ils étaient tous faits pour exciter à boire. Aussi l’archer but-il pur du vin rouge comme trois. Le porcher, qui était près de moi, enlevait les morceaux à la volée et faisait lui seul plus de raisons que nous tous. On ne pensait pas à l’eau, et on en voulait encore moins. Cinq petits pâtés de quatre sous parurent sur la table ; on les ouvrit ; aussitôt je vis prendre un goupillon à l’un des convives et tous récitèrent un répons avec son Requiem aeternam, pour le repos de l’âme du défunt de qui était la chair dont ils étaient faits. Mon oncle me dit : « Te souviens-tu, mon neveu, de