Page:Quevedo - Don Pablo de Segovie.djvu/125

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dit : « Monsieur le licencié, vous êtes plus commodément sur cette bourrique que moi avec mon appareil. » Comme je m’imaginai qu’il entendait parler du carrosse et des domestiques que je supposais derrière, je lui répondis : « Il est vrai, Monsieur, que cette commodité pour voyager me paraît plus douce que le carrosse, car quoique vous veniez dans celui qui vous suit lentement, les cahots et les secousses qu’il donne fatiguent beaucoup. » — « Quel carrosse me suit ? » répliqua-t-il avec émotion. Et à l’effort qu’il fit pour se retourner sa culotte tomba, parce qu’elle n’était attachée qu’avec une seule lanière qui se rompit, ce qui fut cause qu’après m’avoir vu pâmer de rire de l’aventure, il me pria de lui prêter une aiguillette. Comme je remarquai qu’on ne voyait qu’un morceau de chemise par devant et qu’il avait le derrière découvert, je lui dis : « Pour Dieu, monsieur, si vous n’attendez pas vos domestiques, je ne puis vous secourir, car je n’ai qu’une seule aiguillette, non plus que vous. » — « Si vous prétendez vous moquer de moi, reprit-il en tenant sa culotte avec la main, à la bonne heure, mais je n’entends rien à ce que vous dites de domestiques. » À la fin je reconnus que c’était un pauvre diable, et la chose me devint si claire, qu’après avoir fait ensemble une demi-lieue, il me déclara que si je n’avais la bonté de le laisser monter un peu sur ma bourrique, il ne lui serait pas possible de gagner Madrid, tant il était fatigué de marcher en tenant sa culotte avec ses mains. Ému de compassion, je