Page:Quevedo - Don Pablo de Segovie.djvu/127

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lettres, cela serait plus profitable, et cependant il y a très peu de lettres d’or. J’ai vendu jusqu’à ma sépulture, pour n’avoir pas sur quoi tomber mort, car mon père Torribio Rodriguez Vallejo Gomez de Ampuero (il avait tous ces noms) a perdu son bien dans une banqueroute qu’il a essuyée. Il ne m’est resté à vendre que le Don, et je suis si malheureux que je ne trouve personne qui en ait besoin, parce que ceux qui ne l’ont pas en naissant l’ont après, comme le savetier, le fossoyeur, le porte-bannière des confréries, le carillonneur, le mendiant et d’autres gens de cette espèce. »

J’avoue que les infortunes de ce gentilhomme, quoique touchantes, m’amusèrent par la manière plaisante dont il les racontait. Je lui demandai comment il s’appelait, où il allait, et ce qu’il se proposait de faire. Il me répéta tous les noms de son père, Don Torribio Rodriguez Vallejo Gomez de Ampuero y Jordan. L’on n’a jamais ouï de nom plus nombreux et plus sonore, car il finissait par dan et commençait par don, comme le son des cloches. Après cela il ajouta qu’il allait à la Cour, parce qu’un aîné de sa maison tel que lui flairait mal au bout de deux jours dans un petit lieu, et ne pouvait y subsister ; qu’il s’en allait pour cela à la patrie commune, où tout le monde est bien venu, et où il y a toujours des tables ouvertes aux estomacs aventuriers. « Quand j’y ai mis le pied j’ai toujours cent réaux dans ma bourse, et il ne me manque jamais ni lit, ni dîner, ni même des amusements défendus, parce qu’à la Cour l’industrie