Page:Quevedo - Don Pablo de Segovie.djvu/150

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Je fixai mes yeux tellement sur elle, à force de la convoiter, qu’elle se sécha comme une personne enchantée par la vue. Il aurait fallu pouvoir connaître toutes les mesures que je prenais pour la voler ; d’autres fois, je me décidais à l’acheter.

Pendant que j’étais dans cette perplexité, j’entendis sonner une heure, et cela me chagrina si fort que je formai la résolution de me jeter dans une gargote. J’en lorgnais déjà une, lorsque Dieu permit que je fisse la rencontre d’un licencié, mon ami, nommé Fléchilla, qui d’un pas précipité descendait la rue, ayant au visage plus de boutons que n’en a un sanguin, et tant de crotte qu’il ressemblait à un tombereau. Il courut à moi dès qu’il m’eût vu, et ce n’était pas peu de chose que de me reconnaître dans l’équipage où j’étais. Je l’embrassai ; il me demanda comment je me portais, et je lui dis tout de suite : « Que j’ai de choses à vous raconter, monsieur le licencié ! Toute ma peine est que je dois partir ce soir. » — « Cela me mortifie aussi, répondit-il, et s’il n’était pas déjà tard, et que je ne fusse pas pressé d’aller dîner, je m’arrêterai. Mais je suis attendu par ma sœur, qui est mariée, et par mon beau-frère son mari. » — « Quoi ! repris-je, Dona Ana est ici ! Alors, quoi qu’il m’en coûte, je veux remplir envers elle mon obligation. » J’avais ouvert de grands yeux, quand j’entendis qu’il n’avait pas dîné, et je m’en allai avec lui.

Chemin faisant, je commençai à lui parler d’une jeune personne qu’il avait aimée à Alcala. Je lui dis