Page:Quevedo - Don Pablo de Segovie.djvu/153

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y étais-je que deux de ces femmes qui désirent qu’on leur prête sur leur figure, vinrent à la boutique, ayant la moitié du visage caché de leurs mantes, avec leur vieille et un petit page. Elles demandèrent s’il y avait quelques velours d’un travail extraordinaire. Pour lier conversation, je commençai à jouer sur les mots de tercio, de pelado, de pelo, a pelo, et por peli, etc. ; je ne cessai de leur dire des extravagances.

Je m’aperçus que l’air libre que j’avais pris leur avait donné de la confiance pour avoir quelque chose de la boutique, et, en homme qui comptait ne rien perdre, je leur offris ce qu’elles voudraient. Elles firent des simagrées, disant qu’elles ne recevaient rien de personnes qu’elles ne connaissaient pas. Je profitai de l’occasion, en leur faisant des excuses pour avoir osé leur offrir des choses de peu de valeur ; mais je les priai d’accepter des étoffes qui m’étaient arrivées de Milan, et je leur promis de les leur envoyer par un page que je dis être à moi, parce qu’il attendait son maître qui était dans la boutique vis-à-vis, d’où vient qu’il avait le chapeau bas. Pour leur donner de moi une plus grande idée, je ne cessais de saluer d’un coup de chapeau les conseillers et gentilshommes qui passaient et de leur faire des politesses, quoique je n’en connusse aucun, comme si j’avais été très lié avec eux. D’après cela, et sur ce que je fis briller à leurs yeux un écu d’or que je tirai de ceux que j’avais en réserve, sous prétexte de faire l’aumône à un pauvre qui me la demandait, elles me jugèrent un grand seigneur.