Page:Quevedo - Don Pablo de Segovie.djvu/156

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Geronimo, il avait demandé double portion, sous prétexte que c’était pour des pauvres honteux ; que pour la lui donner on en avait privé d’autres mendiants ; que ceux-ci, furieux, l’avaient suivi et la lui avaient vu avaler bravement dans un coin derrière la porte ; qu’alors mille voix s’étaient élevées pour lui demander si c’était bien fait de tromper par un excès de gourmandise et d’ôter à d’autres pour soi ; qu’aux paroles avaient succédé des coups et que des coups étaient survenues des bosses et des contusions à la pauvre tête. En effet, ils étaient tombés sur lui avec des pots à l’eau et l’un d’eux lui avait fracassé le nez avec une sébile qu’il lui avait donné à flairer avec plus de vivacité qu’il ne convenait. Ils lui prirent son épée, et le portier, qui accourut aux cris, eut bien de la peine à mettre le calme. Enfin notre pauvre frère se trouva en si grand danger, qu’il disait : « Je rendrai ce que j’ai mangé ! » Mais cela fut inutile, parce qu’ils ne s’occupaient de rien autre chose, sinon qu’il avait demandé pour d’autres et que cependant il ne se donnait pas pour un mangeur de soupe. « Qu’on le regarde bien, disait un de ces espèces d’étudiants à cabas, grand écornifleur ; à ses haillons on le prendrait pour une poupée d’enfants. Il est plus triste qu’une bourrique de pâtissier dans le Carême, il a plus de trous qu’une flûte, plus de pièces qu’un cheval pie, plus de taches qu’un jaspe, et plus de points qu’un livre de musique. Il y a, à la soupe du bienheureux saint, tel homme qui peut être évêque et avoir toute autre dignité ; et un