Page:Quevedo - Don Pablo de Segovie.djvu/164

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fermée et verrouillée par dehors, on éteignit la lumière et nous oubliâmes tous nos fers. Le bassin de commodité était à la tête de mon lit, et vers le milieu de la nuit il ne cessait de venir des prisonniers en lâcher d’autres. J’entendis le bruit et m’imaginant d’abord que c’était le tonnerre qui grondait, je commençai à me troubler ; mais bientôt, sentant la mauvaise odeur, je reconnus que les coups n’étaient pas de la bonne espèce. Ils puaient si fort que j’étais obligé de tenir mon nez dans le lit sous la couverture. Les uns étaient suivis de diarrhées et d’autres d’évacuations de bonne qualité. N’y pouvant plus tenir, je me vis forcé de les prier de transporter le pot ailleurs, et sur « si cela convenait ou non », nous nous prîmes de paroles. À la fin je me fâchai tout à fait et je donnai à l’un d’eux la moitié de ma ceinture par le nez. Celui-ci, furieux, se pressa de se relever et renversa le pot, de sorte que tout le monde se réveilla au bruit. Nous nous battions là dans l’obscurité à coups de ceintures, et la mauvaise odeur était si forte que tous les autres, ne pouvant plus la supporter, quittèrent leurs lits. Ils poussèrent alors de grands cris et le concierge, s’imaginant que quelques-uns de ses pigeons s’échappaient, monta en courant, bien armé, avec toute sa cohorte. Il ouvrit la salle, entra avec de la lumière et s’informa de ce que c’était. D’une voix unanime, on me donna tort, et j’eus beau alléguer, pour ma justification, que de toute la nuit les autres ne m’avaient pas laissé fermer les yeux, à force d’avoir ouvert