Page:Quevedo - Don Pablo de Segovie.djvu/170

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En reconnaissance, il me conseilla de relever le col de mon manteau et m’enseigna quelques remèdes pour un catarrhe que m’avait procuré la fraîcheur de la prison. Enfin il me dit : « Épargnez-vous du tourment : avec huit réaux vous engagerez le concierge à alléger vos peines, car ces sortes de gens ne font le bien que par intérêt. » La remarque me parut plaisante. À la fin il s’en alla, et je donnai un écu au geôlier qui m’ôta mes fers.

Ce dernier me laissait entrer chez lui. Il avait pour femme une masse qu’on eut prise au premier coup d’œil pour une baleine, et deux filles que le diable sans doute avait engendrées, laides, bêtes et qui malgré leurs vilaines figures aimaient la vie. Il arriva qu’un jour le geôlier, qui s’appelait Blandonas de San Pablo, rentra chez lui à l’heure du dîner, dans le temps que j’y étais. Il beuglait, et il était si fort en colère qu’il ne voulut pas manger. Sa femme, appelée Dona Ana Moraez, craignant quelque mortification, s’approcha de lui et le fatigua si fort par ses importunités ordinaires qu’il lui dit : « Tu veux savoir ce que j’ai ; eh bien ! c’est qu’ayant eu des paroles touchant le loyer avec ce misérable fripon d’Almandros, de qui nous tenons cette maison, il m’a dit que tu n’es pas propre. » – « Quoi ! s’écria-t-elle, il m’a fait un pareil outrage ! Par le siècle de mon aïeul, il faut que tu ne sois pas homme, pour ne lui avoir pas arraché la barbe. A-t-il appelé ses domestiques pour me nettoyer ? » Puis, se tournant vers moi, elle ajouta : « Grâces à Dieu ! on ne pourra