Page:Quevedo - Don Pablo de Segovie.djvu/219

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Engagé par ces applaudissements, je débutai dans la poésie par une petite romance ; puis je fis un intermède et le tout ne parut pas mal. Je me hasardai ensuite à composer une comédie et pour qu’on ne lui reprochât pas de n’avoir rien de divin, je l’intitulai Notre-Dame du Rosaire. Elle commençait par des clarinettes. On y voyait des âmes du purgatoire et des démons, suivant l’usage du temps, avec leur bou bou en entrant et leur ri ri en sortant. Toute la ville applaudit au nom de Satan que j’avais mis dans les couplets et à la manière dont j’exposais ensuite qu’il était tombé du ciel et d’autres choses semblables. Enfin ma comédie fut jouée et très goûtée.

On ne me laissait pas le temps de travailler. Des amoureux accouraient à moi pour avoir des couplets, les uns sur les sourcils et d’autres sur les yeux. Celui-ci m’en demandait sur les mains, celui-là voulait une petite romance sur les cheveux. Chaque chose avait son prix, quoique pour attirer le chaland à ma boutique, parce qu’il y avait d’autres fabricants que moi, je fisse toujours bon marché. Je fournissais des cantiques aux sacristains et aux tourières des couvents de religieuses. Les aveugles m’entretenaient uniquement pour des prières qui m’étaient payées huit réaux chacune. Je me rappelle que je fis alors celle du Juste Juge, qui est grave et sonore, et qui provoque des gestes. J’écrivis pour un aveugle, qui les a publiées sous son nom, les fameuses oraisons qui commencent : Mère du Verbe humain, Fille du père divin, donne-moi la grâce virginale. C’est moi qui ai