Page:Quevedo - Don Pablo de Segovie.djvu/232

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peau dure un véritable cuir. Il m’invita à aller souper avec lui et avec d’autres de ses camarades, me promettant qu’on me ramènerait à mon logement.

Nous partîmes ensemble et dès que nous fûmes rendus à son auberge, il me dit : « Fier-à-bras, ouvrez le manteau, montrez que vous êtes homme, car vous verrez ce soir tous les bons enfants de Séville, et pour qu’ils ne vous regardent pas comme un efféminé, baissez votre fraise, haussez les épaules, ayez le manteau pendant, parce que nous sommes gens à l’avoir toujours ainsi. Tournez la bouche vers l’épaule, faites des grimaces de côté et d’autre, donnez comme moi la prononciation du g à l’h, de l’h au g. » J’appris par cœur quelques mots qu’il me dit. Après quoi, il me prêta une dague qui, par sa largeur, semblait un sabre, et par sa longueur, une épée. Puis, il ajouta : « Avalez d’une haleine cette pinte de vin pur, et songez que si vous en laissez une goutte, vous passerez pour un lâche. »

Nous en étions là, et je me trouvai étourdi de cette rasade, lorsqu’entrèrent quatre de ces bons enfants, dont la face pleine d’estafilades ressemblait à des souliers de goutteux. Ils marchaient en se dandinant, avaient leurs manteaux ouverts par devant, mais ceints autour des reins, leurs chapeaux avec les bords relevés au-dessus du front de manière qu’on les eût pris pour des diadèmes. Leurs dagues et leurs épées étaient si fort garnies de fer, qu’on aurait pu les soupçonner d’avoir épuisé pour cela deux forges, et leurs pointes battaient le talon droit. Ils avaient les