Page:Quevedo - Don Pablo de Segovie.djvu/33

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Le jour que nous arrivâmes, il nous marqua notre logement, et nous fit un discours en peu de mots, voulant économiser jusqu’aux paroles. Il nous dit ce que nous devions faire. La matinée se passa ainsi jusqu’à l’heure du dîner. Nous allâmes à la table : les maîtres mangeaient les premiers, et nous autres domestiques, nous servions. Le réfectoire était une pièce faite en forme d’un demi-picotin, et cinq gentilshommes étaient assis autour de la table.

Mon premier soin fut de regarder si je ne voyais point de chats, et comme je n’en aperçus aucun, j’en demandai la raison à un ancien domestique qui, par sa maigreur, annonçait ce qu’était la pension. Celui-ci me répondit d’un ton lamentable : « Des chats ! Eh ! qui vous a dit qu’ils soient amis des jeûnes et de la pénitence ? À votre embonpoint on reconnaît facilement que vous êtes ici tout nouveau. » Ce propos commença fort à m’affliger, et je le fus encore plus quand j’eus remarqué que tous ceux qui vivaient dans la pension avant que j’y fusse, étaient effilés comme des alènes. Ils avaient des visages si pâles et si défaits qu’ils semblaient avoir été frottés avec du diachylon.

Le licencié Cabra s’assit et donna la bénédiction. Le repas fut éternel, n’ayant ni commencement ni fin. On servit dans des écuelles de bois un bouillon si clair, qu’en voulant le boire, Narcisse aurait couru plus de dangers qu’à la fontaine. Je considérai avec quelle ardeur des doigts décharnés poursuivaient à la nage un seul pois-chiche qui était au fond des