Page:Quevedo - Don Pablo de Segovie.djvu/36

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de parler me l’ôta, comme l’on fait quand on présente la coupe après la communion. Je me levai de table, tout consterné de voir que j’étais dans une maison où les boyaux criaient sans pouvoir tirer raison de personne.

Quoique je n’eusse presque pas mangé, je sentis un autre besoin. Je priai un ancien domestique de m’enseigner l’endroit où je pourrais le satisfaire. Mais il me répondit : « Je n’en connais pas ; il n’y a pas de pareil endroit dans cette maison ; pour une seule fois que vous en aurez besoin, pendant que vous serez ici, vous pouvez aller où vous voudrez. Depuis deux mois que je suis dans la pension, je n’ai pas fait une pareille chose, sinon comme vous, le jour où j’y suis entré, pour rendre le souper que j’avais pris la veille chez moi. » Comment pouvoir exposer la tristesse et la peine dont je fus accablé en l’entendant parler ainsi ! Elles furent si grandes, que faisant réflexion sur le peu d’aliment qui devait entrer dans mon corps, je n’osai en rien laisser sortir, quelque envie que j’en eusse.

J’allai trouver Don Diégo et nous causâmes ensemble jusqu’à la nuit. Il me demanda ce qu’il devait faire, pour persuader à son ventre qu’il avait mangé, parce qu’il ne voulait pas le croire. La faim canine régnait dans cette maison comme les indigestions dans d’autres.

L’heure du souper arriva, car le goûter fut en blanc. Nous mangeâmes beaucoup moins, et ce ne fut pas du mouton, mais une bouchée de ce dont le