Page:Quevedo - Don Pablo de Segovie.djvu/89

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faire ce soir à Rejas, où nous coucherons, des merveilles avec deux broches ; et soyez bien persuadé que quiconque lira ce livre tuera tous ceux qu’il voudra. » – « Ou ce livre, répliquai-je, enseigne à procurer la peste aux hommes, ou il a été composé par quelque docteur. » – « Comment, par un docteur ! s’écria-t-il ; vous comprenez bien que son auteur en est un très savant, et volontiers je dirais, plus que savant. »

En causant ainsi, nous arrivâmes à Rejas. Nous descendîmes dans une auberge, et lorsque nous allions mettre pied à terre, mon compagnon de voyage me cria de toutes ses forces de faire avec mes jambes un angle obtus, et ensuite deux lignes parallèles, afin de descendre à terre perpendiculairement. L’aubergiste, qui me vit rire, rit aussi et me demanda si ce cavalier, qui parlait de la sorte, était indien. Peu s’en fallut alors que je n’éclatasse.

Mon compagnon s’approcha aussitôt de lui et lui dit : « Monsieur, prêtez-moi, je vous prie, deux broches, pour deux ou trois angles, je vous les rendrai dans le moment. » – « Jésus ! répondit l’aubergiste, donnez-moi, monsieur, les angles ; ma femme les fera rôtir, quoique je n’aie jamais ouï nommer ces oiseaux-là. » – « Ce ne sont pas des oiseaux », répliqua notre extravagant ; et, après avoir ajouté, en se tournant vers moi : « Voyez, monsieur, ce que c’est de ne rien savoir. » Il lui dit : « Prêtez-moi les broches, je ne les veux que pour escrimer, et ce que vous me verrez faire aujourd’hui, vous vaudra peut-être plus