Page:Quevedo - Don Pablo de Segovie.djvu/94

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Nous étant séparés, je poursuivis ma route, en riant du plaisant secret, et je fis plus d’une lieue sans rencontrer personne. Je considérais en moi-même combien de difficultés j’avais à surmonter pour pratiquer la vertu et vivre avec honneur, parce qu’il me fallait d’abord effacer le souvenir de mes pères, et puis avoir un front qui me fît méconnaître. Ces pensées me paraissaient si honorables que je me félicitais moi-même de les avoir. Je me disais : « Je dois bien plus m’en applaudir, moi à qui personne n’a donné des leçons de vertu, que celui qui l’a héritée de ses ancêtres. »

Ces réflexions m’occupaient, quand je fis la rencontre d’un ecclésiastique déjà âgé qui, monté sur une mule, allait aussi à Madrid. Nous liâmes conversation, et il me demanda d’où je venais. Je lui répondis que c’était d’Alcala. « Que Dieu maudisse, répliqua-t-il, de si méchantes gens ! car parmi tant de monde, il n’y a pas un seul homme d’esprit ! » Je lui demandai comment ou pourquoi il pouvait dire une pareille chose d’un lieu où se trouvaient tant d’hommes savants. « Savants ! me répondit-il d’un air fort courroucé ; je vous dirai, monsieur, qu’ils ont tant de science que depuis quatorze ans que je fais à Majalahonda, où j’ai été sacristain, de petites chansons et des noëls pour les jours de Fête-Dieu et de la naissance de Notre-Seigneur, ils n’ont pas couronné dans le concours un seul de mes couplets. Pour vous convaincre de l’injustice qu’ils m’ont faite, je vais vous en lire. Écoutez.