Page:Quevedo - Don Pablo de Segovie.djvu/97

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bonne foi que j’eus peur de tant de mauvais vers. Ainsi je tâchai de détourner la conversation et de la faire tomber sur d’autres choses. Je lui disais que je voyais des lièvres : « Eh bien ! reprenait-il, je commencerai par un sonnet où je la compare à cet animal. » Et sur-le-champ il me tenait parole. Pour le distraire, je lui dis : « Voyez-vous cette étoile qui se montre de jour ? » Et il me répondit : « Quand j’aurai achevé, je vous réciterai le trente-huitième sonnet, où je l’appelle étoile ; car il semble que vous sachiez à quel but ils ont tous été faits. » Comme je ne pouvais rien lui nommer qui ne lui eût donné matière à quelque disparate, cela me devint si fort à charge, que quand je vis que nous arrivions à Madrid, j’en fus très charmé.

Je me flattais qu’il se tairait par égard pour lui-même, mais ce fut tout le contraire. En entrant dans la rue, il éleva la voix pour montrer ce qu’il était. Je le priai de cesser, lui représentant que si les enfants flairaient un poète, il n’y aurait pas de trognons de choux ou autres qu’ils ne nous jetassent, parce que tous les poètes avaient été déclarés fous pour une Pragmatique qu’avait faite contre eux un homme qui l’avait été et qui s’était retiré pour bien vivre. Il me pria instamment de la lui lire, si je l’avais, et je lui promis de le faire quand nous serions à l’auberge.

Nous allâmes à celle où il avait coutume de loger, et nous trouvâmes à la porte plus de douze aveugles qui, l’ayant reconnu, les uns à l’odeur, les autres