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SOUVENIRS AUTOBIOGRAPHIQUES

y profiter de la protection de quelques parente qu’il y avait, il avait été assez heureux pour épouser une jeune personne qui lui avait apporté en dot une plantation dont le revenu était estimé à deux mille livres par an. Mais tout cela fit naufrage en un jour, grâce au décret insensé par lequel la Convention française déclara libres sans distinction, sans restriction, sans transition, sans aucunes mesures préparatoires, des nègres féroces. Sa femme et sa fille elles-mêmes eussent péri comme leurs possessions sans la protection anglaise qui les délivra du sabre des noirs et les transporta à la Jamaïque. Là, bien qu’elles fussent en sûreté, elles étaient forcément pour le colonel Charost, comme prisonnières, et « ses yeux, dit l’Évêque, se remplissaient de larmes, quand il racontait qu’il n’avait pas vu depuis six ans sa chère famille, et que depuis trois ans il ne lui en était parvenu aucune nouvelle. »

De retour en France, il reconnut que le fait d’avoir pour père un horloger n’était plus un obstacle à l’avancement dans les honneurs militaires. Il était entré dans l’armée, et par son mérite, c’était élevé au grade qu’il occupait. « Il avait une intelligence claire et bonne, il paraissait insouciant ou sceptique à l’égard de la religion révélée, mais il disait qu’il croyait en Dieu. Il était porté à croire qu’il existait une vie future, et il était très certain que tant qu’il serait en ce monde, c’était un devoir pour lui de faire tout le bien possible à ses semblables. Néanmoins ce qu’il ne montrait pas dans sa conduite, il paraissait le respecter chez autrui, car il prit soin qu’aucun bruit, aucun désordre ne se fit dans le château, (c’est-à-dire au palais de l’Évêque), les dimanches,