Page:Quincey - Souvenirs autobiographiques du mangeur d’opium, trad. Savine, 1903.djvu/143

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
120
SOUVENIRS AUTOBIOGRAPHIQUES

che en avant : il y en avait sans doute beaucoup d’inventées de toutes pièces, soit par l’aveuglement de la haine, soit par suite de cette politique féroce qui visait à pousser les rebelles au désespoir en les réduisant aux résolutions extrêmes dans le crime et le massacre, mais malheureusement on y croyait beaucoup, au moins dans leurs grands traits, parce que les Royalistes avaient déjà commis des excès prouvés, irréfutables. La fermentation, et l’agitation augmentaient d’heure en heure parmi les insurgés qui occupaient Killala. Les Français ne pouvaient être des protecteurs que dans la limite de leur influence morale, en tant qu’alliés.

Au moment le plus critique de cette situation alarmante, un rebelle vint trouver l’Évêque pour lui annoncer que la cavalerie royale avançait à cette heure même dans la direction de Sligo, et qu’on pouvait reconnaître sa route à la série de maisons en flammes dans la campagne. Bien entendu, l’Évêque doutait, « il ne pouvait croire » et ainsi de suite. « Venez avec moi, dit l’insurgé. » Il était prudent de céder, et Sa Seigneurie obéit. Ils montèrent ensemble sur la colline de la Tour de l’Aiguille, du haut de laquelle l’Évêque vit bien que le rude insurgé n’avait que trop raison. Une ligne de fumée et de feu traversait la campagne en arrière d’une forte patrouille détachée des forces royales. Le moment était critique : les yeux du rebelle exprimaient l’incertitude de ses sentiments ; à ce moment l’imprudent Évêque prononça ces mots, qu’il n’oublia jamais jusqu’au jour de sa mort : « Ces maisons-là, dit-il, en parlant des demeures détruites, ne sont que de misérables cabanes. » L’insurgé rêva un instant,