Page:Quincey - Souvenirs autobiographiques du mangeur d’opium, trad. Savine, 1903.djvu/20

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
— XIII —

combien elle était raisonnable, combien patiemment elle écoutait les explications, combien elle était franche, ouverte à la tendresse, je n’en étais pas moins abîmé dans un désespoir infini par la difficulté de me faire entendre. Elle et moi, nous avions sous les yeux le même acte, mais elle le regardait d’une centre et moi d’un autre. J’étais certain que si pendant une demi-minute elle pouvait ressentir l’impression mortelle des souffrances que j’avais combattues pendant plus de trois mois, cette somme d’angoisse physique, cette désolation de toute vie intellectuelle, elle aurait exprimé avec élan son pardon pour tout ce qui lui apparaissait alors comme un simple éclat d’insoumission capricieuse. « Dans cette courte expérience, se serait-elle écriée, je lis un arrêt qui vous acquitte ; dans ces dures souffrances, je reconnais une résistance digne d’un gladiateur. » Voilà ce qui aurait été alors son verdict, dans le cas que je suppose. Mais des raisons infiniment délicates rendaient cette supposition irréalisable. De tout ce qui se présentait à ma rhétorique, il n’était rien qui ne représentât mes souffrances d’une manière aussi faible que puérile. Je me sentais impuissant, désarmé dans cette difficulté languissante à affronter ou à essayer d’affronter l’obstacle qui était devant moi, comme il nous est souvent arrivé, dans nos rêves enfantins, de lutter contre un lion formidable. Je sentais que la situation était sans espérance : un mot unique, que j’essayais d’exprimer de mes lèvres se mourait en un sanglot, et je me laissais aller passivement à un aveu apparent qui se dessinait dans toutes les apparences, à l’aveu de n’avoir aucune excuse acceptable à présenter[1]. »

Aussi l’enfant fut abandonné à lui-même, et littérai-

  1. Confessions d’un mangeur d’opium. Trad. V. Descreux p. 144 et 145.