Page:Quincey - Souvenirs autobiographiques du mangeur d’opium, trad. Savine, 1903.djvu/233

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
210
SOUVENIRS AUTOBIOGRAPHIQUES

Les faits, que je me propose maintenant de raconter, sont soumis à cette règle, car ils font partie d’une histoire qui pénétra dans la mienne sur bien des points différents. C’est un récit tiré de la vie de mon frère, et je m’y étendrai d’autant plus volontiers qu’elle donne un enseignement indirect sur un grand principe de la vie sociale, principe qui est et restera encore pendant bien des années en suspens, sub judice, et qui lutte pour affirmer sa juste autorité. — Ce principe, c’est que les châtiments corporels, quels qu’ils soient, quels que soient ceux à qui on les inflige, sont une chose détestable, une indignité envers notre nature à tous, une indignité qui se grave sur la personne de la victime. Je n’ajouterai pas un mot de plus sur cette thèse générale, mais j’en viendrai aux faits de l’affaire, qui serait peut-être une des plus romanesques qu’on ait jamais racontées, s’il était maintenant possible d’en retrouver tous les détails. Mais son intérêt moral consiste en ceci, tout simplement, c’est qu’un châtiment brutal eut pour conséquence naturelle toute une série d’événements qui aboutirent presque au naufrage de toute espérance pour un individu, en même temps qu’ils empoisonnèrent pendant sept années l’existence de toute une famille.

Mon frère cadet, plus jeune que moi d’environ quatre ans, était un enfant d’une beauté exquise et délicate. En disant délicate, je veux dire qu’elle avait quelque chose de féminin dans son élégance et sa finesse de teint, car d’un autre côté, au point de vue de la constitution, il devint d’une vigueur remarquable. Pendant son enfance, sa beauté arriva à un tel degré de charme que ceux qui se souviennent de nous avoir vus ensemble à l’école