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DU MANGEUR D’OPIUM

le peu de sécurité offerte par le navire qu’ils montent. Dans un cas pareil, dans le cas d’une bataille, et dans d’autres circonstances où le hasard semble commander en maître absolu, grande est la tentation de tâter le destin par des oracles surnaturels, ou par des moyens surnaturels de le consulter. Enfin l’interruption habituelle de toutes les sources ordinaires d’information sur le sort des parents les plus chers, l’agitation qui en est la conséquence et qui s’empare presque toujours de ceux qui revoient les eaux de leur pays, l’explosion instantanée, dès le débarquement, de nouvelles qui ébranlent le cœur, et qui s’accumulent par un long arriéré, ce sont là autant de circonstances qui disposent l’esprit à chercher hors de lui de l’aide contre les signes et les présages, afin d’amortir le choc en allant à sa rencontre en des pensées obscures. Les rats, qui abandonnent un navire destiné à sombrer, doivent être mis au rang des présages les plus anciens, quoique l’application de ce fait, comme appréciation sévère, à la politique, soit purement moderne. Peut-être l’homme de l’esprit le plus rassis pourrait se permettre quelques émotion à un augure qui a pour lui l’antique tradition, un présage qui s’est gardé la croyance des siècles, quand il s’applique à un destin aussi intéressant que celui du vaisseau auquel il était près de se confier lui-même. On pourrait énumérer d’autres circonstances qui ont concouru à faire naître ou à entretenir la superstition nautique. Mais c’est assez. On sait de reste que toute la famille des marins est superstitieuse.

Mon frère, le pauvre Pink[1] (c’était un vieux sur-

  1. Le mot Pink signifie incarnat : appliqué à un enfant tel