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DU MANGEUR D’OPIUM

quelqu’un qui avait erré, en vagabond sans asile pendant bien des mois dans le pays de Galles, et traîné une vie solitaire dans les rues de Londres. Mais, qu’on s’en souvienne, dans ces deux circonstances, j’étais un vagabond inconnu, désavoué, et faute d’argent, je ne pouvais pas courir grand risque, excepté de me rompre le cou. Les dangers, les souffrances, les plaisirs, les obligations du monde existent à peine, dans le sens propre du mot, pour celui qui n’a pas d’argent. La parfaite impuissance est souvent une source de sécurité : ce qui trahit et enchaîne les hommes, c’est un pouvoir partial, qui se tourne contre son maître. Là, à Oxford, je pouvais être appelé à commencer une installation proportionnée à la magnificence anglaise ; là je pouvais avoir ma part de bien des devoirs, de bien des responsabilités. Là je deviendrais, par suite, l’objet de l’attention d’une société nombreuse. Maintenant que je devenais séparément, individuellement responsable de ma conduite, que je cessais d’être absorbé dans l’unité générale d’une famille, je me sentais pour la première fois, sous le poids des anxiétés qui assaillent un homme, un membre de l’univers.

Oxford, antique mère ! dont la vieillesse chenue est surchargée d’antiques honneurs, toi que le temps a rendue si respectable, et dont le temps a fait peut-être aussi une puissance chancelante, je ne te dois rien ! Je n’ai pas emprunté un shilling à tes immenses richesses, quoique je vécusse parmi des foules qui te devaient leur pain quotidien. Mais je ne t’en dois pas moins justice, car c’est là une dette universelle. Et en ce moment où j’entends d’injustes et malveillants accusateurs