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DU MANGEUR D’OPIUM

En cette occasion, nous étions en voiture découverte, et dans le but surtout d’éviter la poussière, à ce que je crois, nous nous dirigeâmes vers Londres par des chemins champêtres, par des routes relativement tranquilles et ombreuses, parallèles aux routes principales, toutes les fois que cela fut possible. Par suite de cette façon de nous y rendre, il nous échappa quelques traits du caractère sublime qui appartient à tous les abords par une grande route, je veux dire le va-et-vient, le grondement, le tumulte, l’agitation qui augmentent, augmentent rapidement vers les huit ou dix derniers milles qui précèdent les faubourgs. Déjà à trois relais de distance sur une des grandes routes, on éprouve le pressentiment obscur et vague du voisinage d’une grande capitale ; on ressent quelque malaise. Cette sympathie aveugle avec un être puissant, mais invisible qui est près de vous, ne fait que s’accroître, sans qu’on sache comment. Quand on arrive au dernier relai, Barnet, par exemple, sur une des routes du nord, à Hounslow, sur celle de l’ouest, on ne pense plus, comme on le ferait d’ailleurs, au nom des relais suivants, personne ne dit, ce qui paraîtrait risible, en montant en voiture : « En route pour Londres ! » il plane sur tous les esprits comme une idée toute-puissante, qui interdit de songer à toute autre destination. Une fois lancé sur la dernière étape, vous ne tardez pas à vous sentir pris dans un courant comme dans celui d’un malestrom norvégien, et ce courant ne tarde pas à prendre une allure de torrent. Quel

    la population de Londres en 1833, et que ses édifices, s’ils avaient été réduits à un seul étage, auraient couvert toute l’Italie.