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DU MANGEUR D’OPIUM

qu’elles se dissipent à l’occasion d’une chose des plus triviales, et nous fûmes assaillis par le cicerone qui ôtait sur nos talons, et qui prit justement ce moment-là pour nous répéter son odieux refrain : « Deux pence, gentlemen, rien que deux ponce par personne », et toujours ainsi jusqu’à notre sortie.

On s’est plaint des mêmes ennuis à l’abbaye de Westminster, et l’on a donné à cette plainte une forme piquante que je me ferais un scrupule d’approuver sans m’être d’abord informé. En quoi consiste l’abus et où commence-t-il ? Je ne sais. Certainement, ni moi, ni personne, nous n’avons le droit de nous attendre à ce que les pauvres gens qui nous accompagnaient donnassent leur temps pour rien, pas plus qu’on n’avait le droit de leur en vouloir pour leur insistance, d’autant plus grande que le bien-être de leur famille pouvait en dépendre. La pensée qu’on laisse chez soi des enfants affamés ne laisse guère de place au souci d’observer les nuances de la politesse, quand on est au dehors. Il se pouvait donc que ces individus méritassent ou non d’être blâmés. Mais quoi qu’il en soit, le système est visiblement mauvais. La Nation a le droit d’entrer librement, et sans être molestée dans les monuments publics qui lui appartiennent. Elle a non seulement le droit d’y pénétrer, mais encore celui d’en user, et la liberté ne consiste pas seulement pour elle à ce que l’usage en soit gratuit, mais encore à ce qu’elle n’ait point à subir les importunités des guides avec leurs connaissances imparfaites et leurs sentiments plats.

Et pourtant combien est peu de chose ce système de restriction et d’ennuis quand on le compare à celui qui règle l’accès aux bibliothèques publiques,