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DU MANGEUR D’OPIUM

dans un autre, sur ce que je méritais réellement. Je ne me rappelle même plus la plupart des vers ; quant à ceux que j’ai retenus, ils me font penser qu’au point de vue de la structure métrique, et du choix des expressions, j’avais quelque supériorité sur mes concurrents, bien que d’autre part, mes vers eussent moins de fini peut-être. Lord M—ton avait donc pu jusqu’à un certain point se montrer aussi juste que bienveillant. Mais, si peu vraisemblable que soit la chose, alors même que j’allais tirer quelque avantage de ces honneurs, et qu’ils me valaient de la part de la famille où j’étais une considération à laquelle je n’eusse pu m’attendre sans cela, je doutais très sincèrement, à part moi, que j’eusse aucun droit réel aux éloges que je recevais. Mes vers ne m’avaient pas le moins du monde satisfait, et tout en éprouvant quelque orgueil de l’attention qu’ils m’avaient attirée, tout en étant enchanté de la générosité, de la chaleur que mettait le noble Écossais à prendre mon parti, j’étais bien plus touché de la bonté et de la sympathie qu’il me témoigna, et de la bienveillance qu’elle inspira à d’autres personnes, que je n’étais excité et satisfait dans mon amour-propre intellectuel.

En réalité, bien que je fusse orgueilleux comme un démon de ces dons intellectuels que je croyais posséder, ou que je possédais réellement, je me rendais, même en ce temps-là, un compte trop exact de mes prétentions pour m’imaginer que ma vocation particulière m’entraînait vers la poésie. Sans doute, je savais fort bien, et je sais encore que s’il m’avait plu de m’enrôler parmi les soi-disant poètes du jour, — j’entends, parmi ceux qui ont assez de talent et de ressources d’imitation