Page:Quinet - Œuvres complètes, Tome VII, 1857.djvu/159

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siècle, féodal jusqu’à la Renaissance. Depuis la Renaissance, il a été exclusivement monarchique. La phase qui lui reste à parcourir est sa phase dans la démocratie. Sous cette forme, il sera plus spécialement, comme la France de nos temps, social et cosmopolite.

Chacune de ces périodes de l’art a eu son héros qu’elle a reconstitué à sa manière. Au sacerdoce, Arthur ; à la féodalité, Charlemagne ; à la monarchie, Louis Xiv ; à la démocratie, Napoléon. Napoléon, de quelque façon qu’on l’envisage, ou par l’amour ou par la haine, satisfait à la première condition du personnage épique, qui est d’absorber en soi une génération tout entière. Son caractère dans l’histoire est de représenter le développement de l’individualité dans les temps modernes. Ce doit être aussi là son caractère dans la poésie. Sitôt que vous le placez dans votre poëme, il y règne ; il absorbe tout comme dans son empire. Aussi la poétique alexandrine ou féodale ne peut-elle en aucune manière lui être appliquée. Il n’est avec ses compagnons dans aucun des rapports où Achille est avec Ajax, et Charlemagne avec les douze pairs. Dans son épopée ne se rencontrent véritablement que trois personnages, -lui, -le peuple, le monde. —le dialogue ne se passe qu’entre eux ; tout autre héros qui interviendrait dans cette scène succomberait sous le faix. Sans doute, d’autres noms, d’autres personnages peuvent passer et agir par accident dans ce poëme ; mais aucun ne peut y demeurer et s’y fixer aux côtés du héros ; l’isolement est sa loi, jusque dans le royaume de l’imagination. La force poétique des hommes qui l’entourent réside dans les peuples ; les en séparer, c’est les détruire.

En un mot, dans le poëme moderne, l’action n’est plus partagée comme chez les anciens entre plusieurs personnalités égales entre elles, mais entre une personnalité d’un côté et le monde de l’autre. Voilà l’une des premières lois que l’on rencontrera, je crois, toutes les fois que l’on réfléchira sur ce