Page:Quinet - Œuvres complètes, Tome VII, 1857.djvu/189

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Mais du vieil océan rajeuni chaque année,
Le vieux doge épousait la vague couronnée.
Et Venise chantait, assise au bord de l’eau.
" Il me sera fidèle, il a pris mon anneau.
Non : l’écume n’est plus inconstante au rivage ;
L’abîme ne ment pas quand il baise la plage.
Carthage, Sidon, Tyr, ne sont rien que néant ;
Mais moi je rajeunis autant que l’océan. "
Ainsi Venise au port chantait sa barcarolle…
Alors on entendit la trompette d’Arcole ;
Et l’on vit sur la grève, au loin, un homme errant,
Un muet messager qui passait en courant ;
Et son cheval lassé, qui portait sa fortune
Avec son frein rongeait l’herbe de la lagune.
Oh ! Non, ce n’était pas un obscur messager
Qui passait en courant. Sous un frein étranger
Son cheval écumait. Pâle était le nuage,
Plus pâle était la nuit, plus pâle son visage !
Sa tête s’inclinait sous son propre fardeau ;
Et la terre après lui sonnait comme un tombeau.
Sa main pouvait briser un peuple en son étreinte,
Les hommes à son nom étaient saisis de crainte,
Et pensaient : " Quel est-il ? Il n’est point comme nous.
Il n’aime ni ne hait comme nous faisons tous."
Car son âme brûlait ainsi que l’incendie
Qui se cache au grand jour sous sa cendre attiédie.

Seulement, quand le vent balayait dans le sang
L’écharpe aux trois couleurs qui lui ceignait le flanc,