Page:Quinet - Œuvres complètes, Tome VII, 1857.djvu/262

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Une ville aux cent tours, perdue en la tempête,
Sur le bord des frimas, avait bâti son faîte ;
Et l’aigle moscovite au bout de l’univers
Avait caché son front sous l’aile des hivers,
Afin que nul vautour ne lui ravît sa joie ;
Afin que nul chasseur, en poursuivant sa proie,
Vers le pôle brumeux où le monde finit,
Ne sût par quel chemin elle entrait dans son nid ;
Et pensant : " Nul jamais ne viendra dans mon aire. "
Muette, elle fermait son aile et sa paupière.
Comment ai-je pu dire une aigle et son aiglon ?
Ce n’était pas une aire au repli d’un vallon.
Au pied du vieux Kremlin, c’était Moscou la sainte !
Ah ! Que de hautes tours qui gardaient son enceinte !
Que de canons bâillaient à travers ses créneaux
Comme en leur gîte obscur de jeunes lionceaux !
Non ! Non ! Ce n’était pas une lionne au gîte.
C’était Moscou la grande où tout un peuple habite.
Oh ! Que de toits dorés ! De coupoles d’étain !
Oh ! Que de minarets blanchissant au matin,
Sous leurs turbans de neige y rêvaient du Bosphore,
Comme fait la sultane en attendant l’aurore !
Plus belle qu’au matin la sultane au sérail,
C’était Moscou la belle et son peuple en travail.
Car les gnomes frileux des glaciers du Caucase,
Tremblants, avaient assis ses dômes sur leur base ;
Et les nains de l’Oural sous leurs tentes de crin,
Avaient forgé ses clefs et ses portes d’airain.