Page:Quinet - Œuvres complètes, Tome VIII, 1858.djvu/96

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e du hibou, par le signe du crocodile vorace, notre sagesse est plus grande que la sagesse de la reine de Saba.



Un Sphinx.

Que les jours vont vite quand on est éternel ! Depuis que nous parlons, déjà plus de mille ans sont écoulés. Chaque mot de notre bouche dure un siècle : chaque haleine est une année.

Pour serrer nos bandeaux autour de nos fronts, nous mettons toute une vie de patriarche, pour nous coucher sur nos croupes de lionne, nous mettons toute une vie d’empire ; et, quand le sable du déluge nous couvre jusqu’au poitrail, nous le secouons de nos épaules en frissonnant.

Chœur Des Sphinx.

Passez, passez donc sans peur devant moi, siècles, âges des patriarches, jours de mille ans, temps des dieux, temps des mystères. Jeunes années, qui voulez rester cachées avec votre voile jusqu’à terre, laissez-moi vous regarder tout seul, marchez pieds nus sur mes degrés ; de mes griffes monstrueuses, laissez-moi attacher sur votre robe votre ceinture de ténèbres. Passez aussi, chariots de guerre, qui voulez ne point faire de bruit sur vos roues. Armées, beaux cavaliers, je sèmerai de mes cheveux, du sable sur vos habits.

Passez sans trompes, ni hérauts, ni sandales, tribus, peuples, empires, races mitrées qui jamais ne dites votre nom, ni l’endroit où vous allez. Passez, tours, vieilles babels, villes magiques qui retenez votre haleine sous votre porte pour que le berger ne vous entende pas. Passez, rois inconnus qui vous couvrez jusqu’aux genoux de votre barbe.

Dieux qui vous voilez dans mon ombre, écrivez, sur mon front sans rides, votre mystère ; moi seul je sais d’où vous venez, quel est votre âge ; mais mes lèvres ne se desserreront pas,