Page:Régnier - Escales en Méditerranée.djvu/33

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vers ses senteurs d’ail et de marée, de poussière et d’absinthe, vers le Marseille où l’air même a de l’accent. Le Vieux Port surtout me fascinait. De la pointe du Pharo aux tours du Fort Saint-Jean je ne me lassais pas de scruter l’étendue courbe qu’encercle la ceinture de pierre de ses quais, puis mes regards se portaient vers son étroite issue sur la haute mer que ne franchissaient plus guère que des voiliers démodés, des caboteurs ou des barques de pêche. Le Vieux Port appartenait à leurs coques lourdes, à leurs proues peinturlurées, à leurs mâtures rafistolées, à leur populace qui encombrait ses eaux puantes, pleines de débris, de détritus et d’épluchures. Cette plèbe marine se coudoyait où s’amarraient jadis les beaux vaisseaux de haut bord aux poupes sculptées et les fines galères aux cent rames, mais sur toute cette misère régnait un triomphal soleil ; l’eau se mordorait de reflets ou s’éclairait de scintillements. Un linge déchiré, une loque sordide éclataient dans la lumière avec un bruit de couleur, perceptible par les yeux. Un piment décortiqué, une tranche de melon flottants devenaient des rubis ou de la topaze et faisaient penser aux merveilleux poissons des eaux méditerranéennes dont les écailles ou les peaux lisses ont toutes les nuances de la flore sous-marine. Çà et là