Page:Régnier - L’Amphisbène, 1912.djvu/104

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méchamment, brutalement, vilainement ; il me l’a enlevée de façon à me gâter le souvenir que j’eusse pu conserver d’elle, même infidèle. Il l’a prise par l’attrait de son argent, me montrant ainsi qu’elle n’était ni moins vile, ni moins vénale que ses pareilles.

Quand je pense à cette vieille histoire, je me reprends à détester Antoine Hurtin. Puis, malgré moi, l’idée qu’il souffre, qu’il est malade, m’attendrit et je songe aux angoisses de la pauvre Mme Bruvannes. Je la revois accompagnant au bassin des Tuileries un gros garçon joufflu, en costume marin, portant entre ses bras un bateau Thomas et je sens s’évanouir ma rancune. J’aurais dû arrêter le docteur Tullier et lui parler sérieusement…


4 février. — Rue de Montpensier, d’une porte de cette étroite rue silencieuse, j’ai vu aujourd’hui, au crépuscule, sortir une jeune femme. Élégante, souple, furtive, elle s’est arrêtée sous la voûte. Elle portait une épaisse voilette et était enveloppée d’un grand manteau. D’un regard rapide, elle a inspecté le trottoir. S’apercevant que je la regardais en passant, elle a rougi et s’est rejetée brusquement en arrière. J’ai retourné la tête. À ce moment, elle s’est précipitée dans la rue, comme on se jette à l’eau, et elle a filé prestement dans la direction de la place du Théâtre-Français. Certainement, cette jolie personne venait d’un rendez-