Page:Régnier - L’Amphisbène, 1912.djvu/146

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mes-nous grand plaisir à nous retrouver ensemble après cette longue séparation. Nous avions tant de choses à nous dire ! Ce fut par des compliments, que nous commençâmes. Madeleine voulut bien m’assurer que ces cinq années n’avaient pas trop nui à ma figure, et je pus, sans mentir, lui rétorquer la même gentillesse. Madeleine, en effet, me parut très en beauté. Toujours les mêmes beaux yeux, la même belle bouche, ce même menton hardi, cette même tournure élégante qu’elle avait à dix-huit ans. Une seule différence, cependant. Je l’avais laissée châtaine et je la retrouvais du plus riche roux doré. Cette couleur de cheveux lui seyait, du reste, à merveille. Elle n’avait fait, en se blondissant ainsi, que réparer une inattention de la nature. Sur ce point, M. de Jersainville était du même avis que moi. Cette communauté d’opinion commença notre bonne entente et je m’en félicitai, car Jersainville est un charmant garçon, et j’aurais été désolée qu’il me considérât comme une intruse.

Mon arrivée n’avait pas été sans lui causer quelque appréhension, car Jersainville n’a qu’un défaut : il aime ses aises et déteste se gêner. Aussi l’annonce de ma venue l’avait-elle quelque peu inquiété. Pensez donc, une Américaine, n’est-ce point une personne sportive, agitée, douée d’une activité incessante et de toutes les curiosités ? Ne faudrait-il pas la promener à travers le pays, lui organiser des parties et des déplacements, l’occuper, la distraire et la divertir ? Or, Jersainville a en horreur ce genre d’existence et cette sorte de personnes. Quelle satisfaction ne fut donc pas la sienne, lorsqu’il découvrit que je n’étais rien de ce qu’il craignait que je fusse ; qu’au contraire il aurait affaire à quelqu’un de tranquille ! Son soulagement fut infini, quand il apprit que je venais aux Guérets pour me reposer et