Page:Régnier - L’Amphisbène, 1912.djvu/226

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que. Quelle tête pouvait bien faire M. Delbray devant le cynisme si gentil et si désarmant de Madeleine, car Madeleine n’avait pas dû dissimuler longtemps à M. Delbray ce qu’elle attendait de lui ? Madeleine de Jersainville n’est pas une femme qui cache ses sentiments. Elle devait justement être en train de lui en faire part avec la tranquille impudeur qui la caractérise. Du reste, il se pouvait fort bien que M. Delbray lui eût épargné la peine d’un aveu. M. Delbray n’est ni un jouvenceau, ni un béjaune, mais, tout de même, il n’était peut-être pas habitué au genre de franchise amoureuse d’une Madeleine de Jersainville ! Et, deux ou trois fois, en riant, je répétai le quatrain.

Oui, de plus en plus, ce que j’appelais « l’affaire de la rue de la Baume » me paraissait comique. Le pauvre Delbray devait être quelque peu interloqué d’une bonne fortune aussi imprévue. Bah ! sa surprise passée, il m’en serait reconnaissant. Madeleine lui plaisait beaucoup. J’avais pu m’en apercevoir, et les femmes hardies comme Madeleine sont parfaites pour des indécis comme Delbray. Madeleine ne le gênerait sûrement pas par son attachement et sa fidélité. Leurs amours ne dureraient pas longtemps. Bientôt Madeleine s’en irait vers d’autres aventures et Delbray me reviendrait un peu penaud et déconfit, car tous les hommes sont vaniteux et en veulent aux femmes qu’ils n’ont pas pu fixer. Et cependant ne lui aurai-je pas procuré là une petite récompense pour sa gentillesse envers moi ? C’est ainsi, je n’en doutais pas, que M. Delbray prendrait cette affaire. Autrement, j’aurais été désolée de lui causer le moindre ennui, car je me sentais vraiment pour lui en ce moment beaucoup d’amitié, et je lui voulais d’autant plus de bien que je m’apercevais que cette amitié n’était vraiment que de l’amitié. L’expérience que j’avais instituée