Page:Régnier - L’Amphisbène, 1912.djvu/229

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grecs ou latins qu’elle se distrait à étudier. Lorsque j’entrai, elle laissa là son livre et leva vers moi sa longue figure jaune. Avec son air viril et studieux, Mme Bruvannes serait vraiment très bien, habillée en prêtre ou en juge ! Je lui demandai, tout d’abord, des nouvelles de son neveu. Antoine Hurtin allait un peu mieux. Il était moins sombre et moins morose. La perspective de son prochain départ en yacht ne semblait pas lui déplaire. À ce propos, Mme Bruvannes était contente de me voir, et, si je n’étais pas venue, elle allait m’écrire, car elle voulait me demander de me joindre aux passagers de cette croisière. Oh ! ce ne serait pas un voyage bien gai. Elle aurait à son bord M. et Mme Subagny, ses vieux amis, qui avaient décidé M. Gernon, le célèbre helléniste, à les accompagner, et M. Delbray. C’était tout. Antoine était si sauvage ! Une grande cabine demeurait inoccupée, et Mme Bruvannes la mettait à ma disposition. On vivrait très librement et chacun pour soi.

La proposition de Mme Bruvannes me surprit. Quelle raison avait bien pu la déterminer à m’adresser cette invitation subite ? Comment Antoine Hurtin, qui me connaissait à peine et dont M. Delbray m’avait plusieurs fois décrit la misogynie maladive, consentait-il à m’avoir en sa compagnie ? Je me permis d’en faire la remarque à Mme Bruvannes. L’excellente femme se récria : « Comment pouvez-vous supposer que mon neveu ne soit pas charmé que vous acceptiez d’être des nôtres ? C’est lui, au contraire, qui a insisté pour que je vous invitasse. Je vous assure qu’Antoine est fort bien disposé à votre égard. » Puis elle ajouta avec bonté : « Du reste, il est probable que Julien Delbray, en qui il a grande confiance, lui aura fait votre éloge. Il parle de vous avec tant d’amitié ! Il dit toujours que vous n’êtes pas une femme comme les autres. Quant à moi, j’ai déclaré