Page:Régnier - L’Amphisbène, 1912.djvu/241

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cette belle nuit marine est pleine de sa présence. Sa présence ! Comme ce mot me semble étonnant et précieux ! Tous les jours, pendant deux mois, tous les jours, à toutes les heures, elle sera là. Elle est là. Jusqu’au dernier moment, j’ai cru qu’elle inventerait quelque prétexte pour se dispenser de ce voyage. Ce matin, en allant l’attendre à la gare de Marseille, j’étais encore persuadé qu’elle ne serait pas dans le train. Ah ! quel soulagement j’ai éprouvé quand je l’ai vue descendre du wagon avec cette charmante souplesse de corps qui s’accorde si bien au rythme puissant et délicat de la mer ! Elle paraissait toute joyeuse et elle m’a tendu gaiement la main. C’était la première fois que je la revoyais depuis mon départ pour Clessy, depuis cette absurde histoire de Mme de Jersainville. Qu’avait bien pu lui raconter cette folle ? Ah pourquoi Laure m’avait-elle mis dans cette situation ? Pourquoi ? Je ne le saurai sans doute jamais. Peut-être a-t-elle regretté d’avoir agi comme elle l’a fait, car, durant le trajet de la gare au port, elle m’a parlé presque tendrement.

Et puis, qu’importe ! L’essentiel n’est-il pas qu’elle soit venue ? C’est cette pensée qui, ce soir, me remplit de joie et d’émotion. Oui, Laure de Lérins est là. Elle occupe une des trois grandes cabines du yacht, non loin de celle de Mme Bruvannes. Et il en sera ainsi demain. Ah ! que de demains en ces deux mois où nous allons vivre côte à côte ! Pourtant, un jour viendra où ce beau rêve sera fini. Oui, mais alors il y aura le souvenir, l’admirable souvenir qui