Page:Régnier - L’Amphisbène, 1912.djvu/26

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seraient délicieux sur la terrasse de l’Orangerie, et le long du Grand Canal. Certes, c’est à l’automne, surtout, que j’aime Versailles, lorsque novembre dore les feuillages et noue sur les bassins de flottantes guirlandes. Comme l’on y respire cette odeur de terre humide, d’eaux immobiles, de feuilles mortes, d’une si puissante mélancolie, lorsque le pas que l’on entend derrière les charmilles semble le pas même du Souvenir et de la Destinée ! Mais, en hiver aussi, Versailles a sa beauté. Ses jardins dépouillés ont je ne sais quoi de systématique. On en découvre les raisons d’être architecturales. La sombre rigidité des futaies fait mieux ressortir leur grandeur ordonnée. Dans le froid, les bronzes semblent contracter leur emphase décorative ; les marbres, frileux, prennent des formes plus nettes et plus précises. Si le murmure des pas sur les feuilles mortes est une enivrante musique de mélancolie, le heurt des talons sur le sol durci sonne aussi de fiers échos. Et puis, rien ne vaut peut-être la solitude hivernale du parc, quand les derniers rayons du soleil caressent les statues refroidies. Et le Palais, comme il devient léger en sa pierre frigide et comme cassante ! Les grandes vitres des fenêtres émettent de la lumière gelée.

Je songeais donc à aller renouveler mes images du Versailles d’hiver, et c’est dans cette pensée que je descendais l’avenue d’Antin. Au rond-point, je me suis arrêté un moment. Les quatre bassins étaient couverts de glace. Soudain, cette vue m’a rappelé une certaine promenade à Versailles, un