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se mêlait à l’odeur des roses proches. On eût dit l’haleine de l’Amour et de la Mort.


Tunis, 16 juillet. — Cette odeur de bitume du lac de Tunis est si forte que nous nous sommes décidés à aller passer deux jours à Kairouan. Antoine même a consenti à nous accompagner. Quoi qu’il en dise, et malgré ses jérémiades, sa santé se rétablit à vue d’œil. Il mange, boit et dort excellemment. Ce mois de vie maritime l’a transformé. Ce n’est plus le malade, ni le convalescent d’il y a quelques semaines. Antoine commence à reprendre goût à l’existence. Il a rallumé ses gros cigares et il a retrouvé cette confiance en lui qu’il avait perdue. De nouveau il fait rougir la bonne Mme Bruvannes par ses propos. Néanmoins, il est toujours pour l’avenir en de sages dispositions et il jure qu’il ne recommencera plus à mener le genre de vie dont il a failli payer cher les excès et les folies. Malgré ses protestations, je crains bien un peu pour ses belles résolutions le retour à Paris. La pauvre Mme Bruvannes n’en a peut-être pas fini avec ses soucis de tante Poule, et ce ne sera pas trop de toute l’influence du docteur Tullier pour maintenir au régime cet incorrigible client. Aussi Mme Bruvannes le considère-t-elle parfois avec un amusant mélange d’admiration et de terreur. Son admiration va aux forces revenues d’Antoine ; sa terreur redoute l’usage qu’il en pourra