Page:Régnier - L’Amphisbène, 1912.djvu/44

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dans quelque lointaine contrée d’Allemagne. Un grand parc l’entoure, que j’aperçois par la fenêtre auprès de laquelle je suis assis. À travers les vitres, si vieilles qu’elles sont comme dépolies, je distingue des massifs d’arbres, des parterres, des pièces d’eau. De larges pelouses s’étendent où paissent des animaux familiers. Il y a des vaches, des moutons, des chèvres, des cerfs, et, au milieu d’eux, se prélasse un gros éléphant blanc qui porte sur le dos une housse écarlate ; mais tous ces animaux sont immobiles, car ils sont en porcelaine et pareils, en plus grand, à ceux qui ornent les étagères de la pièce où je suis enfermé. Cette pièce ressemble, en dimensions différentes, au salon de M. Feller ; seulement elle est énorme, au point que je n’en vois pas les extrémités et que le plafond est si haut qu’il se perd dans une sorte de brume. Autour de cette pièce, j’ai la sensation qu’il y en a beaucoup d’autres, également immenses. Auprès de mon fauteuil est une table de mosaïque et, sur cette table, est posée une flûte de cristal. Je la regarde. Il me semble qu’elle attend quelqu’un. Je ne me suis pas trompé. Bientôt j’entends le bruit d’une porte qui s’ouvre et, par cette porte, je vois s’avancer M. Feller. Il tient à la main une grosse clé et me fait signe de ne pas parler. Il est maintenant tout près de moi, et le voici qui introduit sa clé dans le dossier de mon fauteuil, où il remonte une mécanique dont le ressort grince aigrement. Aussitôt, la flûte de cristal se soulève et vient se placer entre mes doigts, qui la portent à mes lèvres.