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faisait un temps gris et assez doux ; néanmoins, les allées étaient presque désertes. Un peu comme le Palais-Royal, leur voisin, les Tuileries sont une promenade en décadence. Elles ne sont plus fréquentées comme autrefois, même en été, à l’époque où les arbres y donnent de l’ombre et où les orangers, dans leurs bonnes caisses vertes, y parfument l’air poussiéreux. Le petit monde d’enfants qui animait les allées, les mamans, les bonnes, les nourrices qui, jadis, dans la belle saison, y occupaient des centaines de chaises, toute cette foule a émigré ailleurs. Maintenant, la population enfantine qui remplissait les Tuileries est remontée vers les Champs-Elysées et s’est portée vers le Bois de Boulogne.

De mon temps, c’est-à-dire quand j’avais douze ou treize ans, il en était tout autrement. Les Tuileries jouissaient encore de toute leur vogue. À leurs portes, tintaient les sonnettes du marchand de coco, portant en hotte, à son dos, sa fontaine ambulante et ses tasses accrochées par l’anse à un baudrier de velours. La vendeuse de madeleines et de sucres d’orge circulait, coiffée d’un petit bonnet blanc. Les bébés faisaient des pâtés dans le sable ; les fillettes sautaient à la corde ou poussaient leurs cerceaux ; les garçons s’amusaient aux billes ou aux barres. Garçons et filles s’unissaient pour jouer aux gendarmes et aux voleurs. Je me souviens de parties admirables où l’on attaquait des diligences, où l’on délivrait des prisonniers, sous l’œil complaisant du gardien et de la loueuse de chaises. Mais à