Page:Régnier - La Canne de jaspe, 1897.djvu/184

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

consacra l’avènement de l’usurpateur ; quelques têtes coupées consolidèrent l’aventure. L’arrogance du parvenu fit croire à sa prédestination. On se prosterna devant lui ; il s’ennuya.

Un jour qu’il traversait la grande place de la ville, en plein soleil, couronne en tête et sceptre à la main, il remarqua un homme vêtu de haillons qui, debout, le considérait en riant. Il reconnut de nouveau l’étranger qui lui avait acheté sa barque, le dormeur dont la bourse le tenta, un soir, près de la fontaine. Sur l’ordre du roi on amena devant lui le loqueteux. « Pourquoi ris-tu ? » dit Hermagore, « que veux-tu de moi, parle. » « O roi », répondit le misérable, « je regarde à tes pieds l’ombre que fait ta gloire » ; et le roi ayant baissé les yeux vit cette ombre. Composée d’une crête par la haute couronne, d’un bec par le sceptre, d’ailes par le manteau, elle était difforme et trapue, et, monstrueuse, elle semblait, avec son envergure chimérique, quelque bête hargneuse et infirme, accroupie aux pieds du triomphateur et qui le précédait.

Le roi Hermagore comprit l’allusion du mendiant. Il lui semblait avoir vu dans la paro-