Page:Régnier - La Canne de jaspe, 1897.djvu/226

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car Barbe-Bleue avait beaucoup aimé cette Alède. Elle était jumelle de Sœur Anne : on eût pu les prendre l’une pour l’autre et c’était à elles deux qu’il désirait que ressemblât la nouvelle épouse, car elles sont six, ces ombres, qui errent, le soir, autour de l’antique ruine et cette dernière seule est vêtue.

 

C’est parce que, petite bergère, tu gardas tes moutons sur une lande de bruyères roses et d’ajoncs jaunes, à la lisière de la forêt, debout ou assise parmi ton troupeau, en ta grande cape de laine grossière où s’abritait parfois contre le vent quelque agnelle chétive.

Les beaux yeux font la simplicité d’un visage plus belle et la tienne était telle que le veuf Seigneur t’ayant vue en passant t’aima et te voulut épouser. Il avait alors la barbe toute blanche et son regard était si triste, ô Pastourelle, qu’il t’attendrit plus que ne te tenta l’aventure d’être grande Dame et d’habiter le château où tu lisais l’heure par l’ombre des tours sur la forêt.

Rien n’était parvenu dans la solitude de la petite gardienne du fâcheux renom du noble Sire, car comme elle était humble et pauvre on dédai-