Page:Régnier - La Canne de jaspe, 1897.djvu/279

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saisit le bas de ma robe de sa main poilue ; je me dégageai, et je m’enfuis.

Dès lors, je ne sortis plus, et je restai dans le château désert. L’excessive chaleur de ce terrible été fut fatale à mes derniers vieux serviteurs. Quelques-uns moururent encore. Les survivants erraient comme des ombres ; ma solitude s’accrut de leur perte et mon désœuvrement s’augmenta de leur inertie. Les vastes salles du palais s’éveillèrent à mes pas et je les habitai l’une après l’autre. Mon père y avait rassemblé de somptueuses merveilles : son goût se plaisait aux objets rares et curieux. Des tapisseries vêtaient les murs ; des lustres suspendaient au plafond leur scintillation orageuse de cristal et d’éclairs ; des groupes de marbre et de bronze posaient sur des socles travaillés ; les pieds trapus des hautes consoles d’or crispaient sur les parquets leurs quadruples griffes léonines ; des vases de matière opaque ou transparente étiraient les nervures de leur gorge ou gonflaient l’ampleur de leurs panses ; des étoffes précieuses remplissaient des armoires à portes d’écaille ou de cuivre. L’amas en débordait. C’étaient des soies glauques ou vineuses, tissées d’algues et