Page:Régnier - La Canne de jaspe, 1897.djvu/311

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mon sommeil quand je descendrai vers vos rives dont j’entends déjà sous mes pas le bruit fatal et souterrain.

Ma vie s’achève ; je l’ai vécue, jour par jour, dans l’horreur de racheter ma faute. Pour me punir d’un refus imbécile et involontaire, j’ai abandonné mon corps aux bras vulgaires des passants. Tous ceux que traversait, à ma vue, l’éclair d’un désir l’ont assouvi librement sur l’offre de ma complaisance. Ils furent nombreux, ceux qui goûtèrent le don repentant de moi-même. Il y en eut de lourds de vin qui confondaient leurs baisers avec les hoquets de leur saoulerie ; d’autres, hâves de jeûnes, se rassasièrent aux fruits de mes seins. Certains m’étreignirent au hasard, du soubresaut de leur caprice ; d’autres épuisèrent sur moi la ténacité de leur obstination. J’ai satisfait les hâtes de la passion et les acharnements de la luxure. L’aube claire a perlé sur mon corps nu et le soleil a tiédi ma peau sèche.

Maintenant, le crépuscule est arrivé ; les passants ne se retournent plus. J’ai quitté les villes : personne ne m’a retenue par le pan usé de mon manteau. J’ai fui la ville pour ce bois écarté. Il