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ÉGLOGUE


Moi, Satyre fu fleuve et Faune de la mer,
Homme et bête, le sort m’a fait un et divers
Et, dans l’ombre endormie ou dans l’aube éveillée,
J’écoute gronder l’onde et chanter la feuillée,
Et le vent, double aussi, m’apporte tour à tour
Le parfum de la lame ou l’odeur du labour
Selon qu’il vient du flot ou qu’il vient du sillon ;
Et perplexe à ma voix incertaine, selon
L’heure, mon double chant, pastoral ou marin,
Dans la limpide aurore ou dans le clair matin,
S’aiguise aux roseaux droits ou s’enfle aux conques torses ;
Aux arbres, tour à tour, je marque sur l’écorce
Quand doit venir la crue ou monter la marée.
Sur l’autel de Neptune ou sur l’autel de Rhée
J’offris longtemps aux dieux, d’un culte impartial,
L’algue océanienne et le jonc fluvial,
Car je fus à la fois, par un double destin,
Satyre de la plage et Faune riverain.
Mais depuis quelque temps j’ai déserté la plaine,
L’étable, le verger, les jardins, la fontaine ;