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hélène de sparte

L’ILE DE CRANAÉ


Ils se tenaient la main et regardaient la mer
Côte à côte, debout tous deux sur le ciel clair ;
Une même langueur les tournait sans rien dire
L’un vers l’autre, et parfois je voyais se sourire
Le profil de l’amante et celui de l’amant,
L’un charmant et viril, l’autre tendre et charmant.
J’étais pâtre, et, marchant pieds nus dans l’herbe rase,
Je me glissai près d’eux sans troubler leur extase.
Ils s’aimaient ; et moi, jeune et rustique berger
De l’Ile, je pensais que ce bel étranger
Silencieux au bord de la mer murmurante
Etait l’Amour menant quelque Déesse errante,
Et j’adorai tout bas le beau couple divin.
L’ombre grandit du promontoire ; la nuit vint.
Et quand l’aurore au ciel eut fait pâlir l’étoile,
Je vis à l’horizon fuir une blanche voile…
de n’ai plus retrouvé mon songe disparu,