Page:Régnier - Les Médailles d’argile, 1903.djvu/149

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
145
la nuit des dieux

À toute heure, des champs, des monts ou des halliers
Sortaient et se mêlaient aux hommes de la Terre.

Parcours la plaine en fleurs ; monte au pic solitaire,
Visite le vignoble ou scrute la forêt,
La lande, les jardins, le verger, le guéret,
Rien. Passe, ô voyageur, la porte de la Ville
Que le libre travail ou le labeur servile
Emplit de l’aube au soir de sa double rumeur :
On chante, on parle, on rit, on court, on vit, on meurt.
Le brasier luit, le bûcher flambe, le four fume ;
Le marteau furieux retombe sur l’enclume ;
L’un forge la cuirasse et l’autre bat la faulx ;
La fonte en un seul bronze unit divers métaux.
Pour l’arène où l’on saigne et la glèbe où l’on sue
Voici le glaive court et le soc de charrue ;
Voici l’ancre nautique et l’éperon marin.
Admire l’Aigle d’or et la Louve d’airain
Qui harcèle du bec et qui mord de la gueule
Les esclaves muets attelés à la meule
Car la Ville, en un jour, tous les jours, sans arrêt
Dévore une moisson et brûle une forêt
Et semble, au fond des soirs, une aurore allumée.
Mais il manque pourtant à toute la l’urne
Rampante au-dessus d’elle et noircissant les cieux
Le petit grain d’encens qui monte vers les Dieux !