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LA DOUBLE MAÎTRESSE

de privautés d’écolier, ni d’un tempérament à s’amuser de manigances de barbon.

Entre temps, Julie feuilletait d’un doigt agile les brochures dont la fournissait Gros Ami. Le soir, dans son lit, elle en tournait les pages furtives. La bougie brûlait tard dans la nuit et elle s’endormait l’esprit caressé d’images voluptueuses. Elle apprenait ainsi les bons tours dont on pipe les tuteurs et les maris, le verrou mis ou enlevé, les déguisements et les mascarades, les mille friponneries de l’amour, les intrigues où il se plaît, les rendez-vous et les ruses, le hardi et le clandestin du plaisir, le détail des petites maisons et le récit des petits soupers, tout ce que l’invention galante imagine pour aiguiser et faciliter le désir. Livres folâtres, libres ou polissons dont Portebize lui commentait ensuite l’indécence en l’agrémentant d’anecdotes personnelles, en l’assaisonnant de sa verve hardie et facétieuse, singulières leçons où se mêlaient du libertinage et de la gaieté qui rendaient Julie rêveuse ou la faisaient rire aux éclats et dont l’excellent M. du Fresnay prenait les apartés pour l’innocente idylle d’une fillette et d’un vieux garçon désœuvré, bonhomme au fond malgré son passé de brelandier et de coureur de filles.

Cependant les jours passaient et Gros Ami commençait à s’impatienter. Il résolut donc d’aider Julie à se mieux représenter tout ce dont il lui avait farci l’esprit et de mettre sous ses yeux la figure même de ses pensées. Aux livres qu’il lui prêtait en cachette succédèrent des gravures qu’il lui apportait en secret.