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LA DOUBLE MAÎTRESSE

Les deux pigeons qui étaient revenus se poser sur le toit des communs roucoulaient doucement.

Nicolas ne reconnaissait pas sa cousine dans cette belle personne toute rieuse, hardie et familière qui se tenait devant lui avec son teint frais, sa bouche charnue, son corsage entr’ouvert sur la naissance d’une gorge attrayante. Il ne retrouvait plus là la petite pleurnicheuse de l’an dernier. Sa timidité ordinaire devint un trouble évident, et il demeurait interloqué et bredouillant. Il lui expliquait que Mme de Galandot se trouvait un peu incommodée et il s’affligeait d’avoir laissé repartir M. du Fresnay sans lui communiquer les excuses de ne pas le recevoir dont sa mère l’avait chargé envers lui.

Mme de Galandot était, en effet, très vieillie et assez mal portante. Un marchand d’orviétan, introduit il y a quelques mois au château par une des vieilles servantes qu’il avait guérie d’un cor au pied, avait vendu à Mme de Galandot des poudres soi-disant merveilleuses et universelles à tous les maux, dont l’effet fâcheux n’était point étranger aux fatigues que ressentait depuis la bonne dame. Aussi se trouvait-elle trop occupée d’elle-même pour pouvoir prendre garde à Julie.

Elle ne vit donc guère dans la nouvelle beauté de sa nièce que de la bonne santé ; elle remarqua l’excellente couleur de son visage et n’en distingua point les traits charmants. L’heureuse proportion de sa taille lui sembla un effet de la croissance ; elle n’en reconnut pas la grâce voluptueuse. Par cette bonne conformation corporelle elle la